Influence de l’évolution climatique sur les perspectives viticoles en Île-de-France

  • par Philippe Averlant, Philippe Ollivon, Dominique Turpin
  • 19 nov., 2019

Octobre 2019

Résumé: De nombreux projets de réimplantation de la culture de la vigne dans la région Ile-de-France voient le jour. Ils sont étayés par le sentiment d’un effet du réchauffement climatique localement positif. Cet article propose de confirmer ce sentiment en présentant les résultats de la détermination d’indices bioclimatiques pertinents pour la vigne sur les 47 dernières années.

Mots clés: Viticulture, Ile-de-France, Réchauffement climatique

1. Introduction

La culture de la vigne est une longue tradition en Île-de-France. Par exemple, en Essonne, et plus précisément à Longpont-sur-Orge, commune jouxtant Montlhéry, le premier maire en 1790 était vigneron [1]. Et on trouve des vignerons à la tête de cette mairie jusqu’en 1843. Mais les vignobles franciliens disparaissent peu à peu dans la seconde moitié du XIXe siècle avec le déploiement du chemin de fer augmentant la concurrence entre les différentes régions viticoles et surtout sous l’effet des maladies telles que le phylloxéra. De nombreux vignerons se tournent alors vers la culture maraîchère, avec pour notre exemple de Montlhéry : la tomate.

 

Des vignes subsistent. Parmi d’autres, la vigne de Suresnes dans les Hauts-de-Seine. Avec ces 4500 bouteilles par an, le Clos du Pas-Saint-Maurice est le plus grand vignoble d’Île-de-France. Et pour renouer avec la tradition, d’autres vignes ont été réimplantées. Comme par exemple les 700 pieds de pinot noir plantés en 1983 sur quatre grandes terrasses bien ensoleillées dans le parc Georges Brassens dans le sud de la capitale.


Clos du Pas-Saint-Maurice - Suresnes
Clos des Morillons – Parc G. Brassens – Paris XV
Avec l’évolution des connaissances des techniques viticoles et vinicoles, de nouveaux projets de réimplantation de vignes fleurissent en Île-de-France.
Voici un autre exemple dans les Yvelines.
Implantation (en rouge) des vignobles « Les coteaux de la Mauldre » à Nézel

La situation géographique des côteaux exposés au sud-ouest à Nézel et l’histoire locale ont amené l’association Coteaux de la Mauldre à construire un projet viticole qui repose sur deux axes :

• Créer une vigne de qualité autour d’un projet à dimension locale de 2500 pieds de Chardonnay, 1000 de Pinot Noir pour élaborer un vin bio.

• Faire participer toutes celles et ceux qui croient en cette aventure, pour contribuer à la renaissance d’une tradition viticole en Île-de-France.

Les similitudes du micro climat de Nézel et de son sous-sol avec d’autres grands vignobles notamment à Chablis et Sancerre, mais aussi en Champagne, sont autant de bonnes raisons de tenter l’expérience. L’association a fait intervenir un ingénieur agronome reconnu dans le milieu viticole pour son analyse de sol et les plants sont commandés auprès d’un des meilleurs pépiniéristes spécialisés dans les plants en sélection massale. Les démarches administratives ont été menées en 2018, en vue de planter début 2020.


Enfin, La Winerie Parisienne, Maison de vin fondée à Paris en 2015, est un acteur clé dans l'émergence de la filière viti-vini en Ile de France.
En effet,  en 2017, la Winerie Parisienne a planté 10 hectares de vignes sur la plaine de Versailles, signant le retour de la viticulture professionnelle en Île-de-France pour la première fois depuis le XIXe siècle.
Depuis 2018, la Winerie Parisienne expérimente la conduite biologique de son vignoble pour évaluer le potentiel d'une conversion en agriculture bio. Les premières vendanges ont été réalisée en 2019 et les merlots, fraîchement récoltés, ont été vinifiés au 1er étage de la Tour Eiffel.

Dans tous les départements de la couronne parisienne et Paris intra-muros, une dynamique se dessine autour de ces nouveaux projets. Une appellation spécifique à l’Île-de-France, défendue par le SYVIF (Syndicat des vignerons d’Ile-de-France), pourrait voir le jour. A ce jour, 24 exploitants d’île de France bénéficient d’une inscription au Casier Viticole Informatisé et plus de 40 agriculteurs ont suivi les formations Viti/Vini délivrées par la Chambre d’Agriculture d’Ile de France. Enfin, les acteurs s’organisent sur ce territoire en Association, l’AVVI (Association des viticulteurs et vinificateurs en Ile-de-France), en vue de proposer et soutenir les bonnes pratiques des vignerons. L’ensemble de ces recommandations sont réunies dans une charte.

Même si cet engouement francilien se nourrit de l’évolution en 2016 de l’organisation commune du marché vitivinicole européen, il est en partie dû à des effets supposés bénéfiques du réchauffement climatique. Qu’en est-il vraiment de ce réchauffement ? Le rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (GIEC) d’octobre 2018 donne une évaluation des impacts d’un réchauffement climatique global de 1,5 °C, et les trajectoires à suivre pour ne pas le dépasser. Sachant que ce réchauffement moyen n’a pas de raison d’être homogène sur le globe, quel est le réchauffement pour l’Île-de-France ? Peut-on déjà constater un effet sur la culture de la vigne pour cette région ?


Après un rappel des principaux indicateurs bioclimatiques reconnus en viticulture, le lecteur pourra se faire une opinion sur ces questions, grâce à la présentation graphique de l’évolution de deux des principaux indices sur les 47 dernières années pour une station météorologique d’Île-de-France : Orly. Opinion qui pourra être renforcée à la lecture des mêmes indices pour Bordeaux.



2. Indices bioclimatiques en viticulture

Dans son mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches [2], Hervé Quénol nous rappelle l’intérêt et la définition des principaux indices bioclimatiques :

Les indices bioclimatiques - Extrait [2] p33 et 34

D’autres indices sont couramment utilisés. Par exemple, dans certains modèles de simulation, l’INRA met en œuvre deux des indices climatiques précédemment présentés : l'indice héliothermique ou indice de Huglin (IH) et l'indice de fraîcheur des nuits (IF), auxquels est associé l'indice de sécheresse (IS). Ce dernier représente la disponibilité potentielle en eau du sol cultivé et tient compte de l'évapotranspiration, de la réserve utile et de la pluviométrie.

 

Chaque région bioclimatique ainsi définie aura des aptitudes particulières en termes de production des raisins, d’adaptation des cépages, de précocité ou de tardivité des stades phénologiques de la vigne comme le débourrement, la floraison, la véraison ou la date de récolte.

 

Par exemple, la Syrah se rencontre dans des climats classés « tempéré chaud » et le pinot noir dans des climats classés « Frais ».

3. Résultats des indices IH et IF

Les graphiques du chapitre suivant présentent l’indice de Huglin (IH) et l’indice de fraicheur des nuits (IF) pour deux stations :

Ces graphiques ont été établis à partir de l’historique des températures minimales et maximales journalières de 1973 à 2019.

Evolution des indices climatiques pour la station d’Orly, de 1973 à 2019

Evolution des indices climatiques pour la station de Bordeaux, de 1973 à 2019

4. Analyse de l’indice de Huglin IH

Que ce soit pour Orly ou Bordeaux, malgré des dispersions constatées d’une année sur l’autre, l’indice a significativement progressé en moyenne, et cela, de façon relativement linéaire.

 Plus finement, des tests statistiques classiques (Student et Snedecor) mettent en évidence qu’une relation polynomiale de troisième degré améliore le niveau de corrélation entre l’indice et son année de détermination (courbes rouges sur les graphiques précédents). Ce type de relation permet jusqu’à deux changements de pente. Une courbe de tendance du troisième degré pourrait mettre en évidence trois périodes :

• Années 70 : relative stabilité avec peu d’évolution de la moyenne située à un palier bas (moins marqué pour Bordeaux). L’indice moyen est de 1551 pour Orly, et 1805 pour Bordeaux.

• Années 80 à 2010 : forte progression des indices, +306 pour Orly et +390 pour Bordeaux.

• Années 2010 : nouvelle stabilité globale avec une moyenne nettement plus élevée que pour la première période. L’indice moyen sur la dernière décennie est de 1858 pour Orly, et 2195 pour Bordeaux.

 Nota : Mathématiquement, cette relation polynomiale est une interpolation qui devrait rester bornée sur la période observée. Nous ne tenterons pas d’extrapolation au-delà de 2019 car le niveau d’incertitude reste fonction des hypothèses sur le futur des facteurs d’influences.

 La comparaison des deux stations permet de constater une certaine similitude globale dans l’évolution. En une cinquantaine d’année, chacune des stations a gagné une plage climatique (+300 ° cumulés/an). De « Frais » à « Tempéré » pour la station du bassin parisien et de « Tempéré » à « Tempéré chaud » pour celle du bordelais.

 Aussi, nous pouvons noter que, pour une année donnée, les niveaux pour les deux stations sont significativement décalés, en moyenne de 315 ° cumulés/an. La station francilienne montre aujourd’hui des niveaux similaires à ceux constatés pour la station girondine il y a une cinquantaine d’année.

5. Conclusion

A la vue des indices bioclimatiques viticoles des deux stations présentées pour ces 47 dernières années, certains pourraient y voir la preuve que l’Île-de-France a maintenant le climat qu’avait le bordelais dans les années 70.

Toutefois, cela nécessiterait d’être confirmé par une meilleure représentativité avec plus de stations dans les deux régions. D’autres facteurs climatiques (comme par exemple la durée d’ensoleillement, la pluviométrie, la sècheresse, la fraicheur nocturne ou la topographie) seraient à prendre en compte. Et là, des différences notables devraient apparaitre, liées par exemple à une plus grande proximité océanique pour le bordelais. Les dispersions de l’indice de fraicheur des nuits en sont un témoin.

Il n’empêche, cette étude permet de constater que le climat des années 70 a significativement évolué en près de 50 ans ouvrant des perspectives intéressantes de culture de la vigne en Île-de-France. Elle apporte un élément de réflexion sur le bien fondé des nombreux projets franciliens en cours, même si, comme chacun le sait, une région viticole ne se limite pas à son climat.

6. Références

[1]     Société Historique de Longpont sous la dir de Geneviève Letessier « Longpont-sur-orge : il était une fois » 2003, ISBN 2-905762-02-0

[2]     Hervé Quénol. « Observation et modélisation spatiale du climat aux échelles fines dans un contexte de changement climatique ». Geography. Université Rennes 2, 2011. <tel-00694300>